En 2019, alors que l’agence Régionale de santé de la région Provence Alpes Côte d’Azur avait confirmé son engagement à financer le Centre d’Innovation du Partenariat avec les patients et le public (CI3P), l’équipe fondatrice, membre de l’association citoyenne proposant de l’éducation populaire sur les questions de santé organisa le 1er colloque International sur le partenariat de soin avec le patient en France. Ce colloque était conçu comme une recherche action permettant de photographier la perception des congressistes à qui étaient présentés un certain nombre de communication dont certaines donnèrent lieu à publication dans la première revue consacrée au partenariat de soin avec le patient. Une revue qui a rejoint depuis fin 2022 le réseau de science ouverte épisciences coordonné par le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS). Ce billet propose un article issu de cette revue en prolongement de la communication dont le sujet était le premier enseignement en partenariat avec le patient proposé à la faculté de médecine d’Université Côte d’Azur au cœur de la formation initiale avec la perception qu’en ont eu les congressistes et donc avec les outils d’analyses proposées alors.
ENSEIGNER L’EXERCICE MEDICAL PAR L’ART
ET LES SAVOIRS EXPERIENTIELS AVEC LA PARTICIPATION DU PATIENT
de Thomas Chansou, patient partenaire et
Jean-Michel Benattar, médecin [1]
INTRODUCTION
La mobilisation de patients au cours des études de médecine est devenue, après une trentaine d’année d’introduction de leurs actions, d’actualité dans le cadre de l’actuelle réforme des études médicales. C’est au sein de ce courant que la faculté de médecine introduit, depuis quelques années, des formations et modules de formation allant dans ce sens. Cet article issu d’une communication en tandem d’un patient formateur et d’un médecin présente parmi l’éventail des formes d’interventions effectives de patients et proches, tous ici considérés comme des patients partenaires, une forme d’intervention programmée comme cours obligatoire auprès des étudiants de 4ème, 5ème et 6ème année de médecine, donc déjà en immersion lors de stages cliniques.
- GENEALOGIE DE L’ENSEIGNEMENT PROPOSE
En 2014, Le doyen de la faculté de médecine de Nice Patrick Baqué crée un groupe de réflexion à la faculté de médecine afin d’introduire les humanités médicales dans le cursus de formation des étudiants. Il y invite un de ses collègues médecin Jean-Michel Benattar connaissant son intérêt pour cette question. De cette réflexion naîtra l’idée
d’associer la médecine, les sciences humaines et sociales et les arts à travers des ciné-conférence-débats citoyens sur les enjeux de santé. Les modalités choisies pour initier cette démarche furent de réunir au sein d’une association de loi 1901 des citoyens Niçois de différentes catégories socioprofessionnelles. Ainsi, le 1er film « Barberousse » de Kurosawa [2] sur le thème de « Qu’est-ce que soigner avec humanité? ». Un film qui raconte le parcours initiatique dans le Japon du 19ème siècle d’un jeune interne Yasumoto qui va passer de la médecine des livres à celle de l’écoute des récits des personnes qui souffrent. Une 1ère qui fait salle comble au Mamac [3] et permet par le biais du Dr Isabelle Pourrat, présente ce jour-là, une alliance. Cette professeure de Médecine Générale du département d’enseignement et de recherche en médecine générale, propose l’attribution d’heures complémentaires reconnues dans la faculté de médecine aux internes en médecine présents. C’est ainsi qu’une action citoyenne est intégrée à la formation médicale dès la première année d’activité. Durant l’été 2015, la rencontre à Montréal avec deux membres de la Direction Collaboration et Partenariat Patient (DCPP) de la faculté de médecine de l’Université de Montréal, Luigi Flora patient partenaire co-chercheur et un autre membre français, Alexandre Berkesse, tous deux concepteurs du modèle de Montréal permettront l’émergence d’une évidence. Il n’est plus possible d’envisager des rencontres citoyennes sans un patient dans la coconstruction de celles-ci. Ainsi dès septembre 2015, La 3ème rencontre « La souffrance du professionnel de santé » à partir du film La Maladie de Sachs [4] basé sur le roman de Martin Winckler (1998) [5] sera co-animée avec Philippe Barrier, patient et philosophe (Le patient autonome)[6] à la faculté de Médecine de Nice grâce et en présence du doyen, Patrick Baqué, qui ouvre les portes de cette institution à la cité. Puis en décembre de la même année, à l’occasion de la rencontre de fin d’année par la MMC « prendre soin à l’heure des nouvelles technologies» à partir du film Un monde sans humains [7] projeté à la faculté de médecine, une réunion est organisée avec le doyen, des membres de la MMC, Luigi Flora, co-concepteur du modèle de Montréal et un patient intervenant en ETP au CHU (Eric Balez), et responsable national du programme ETP de l’association François Aupetit (AFA), un patient expert créant le lien entre la vie à l’hôpital et dans la cité. À partir de 2017 débute un cycle de co-création de formation.s qui permettra la naissance d’une organisation universitaire dédiée, le Centre d’Innovation du Partenariat avec les Patients et le Public (CI3P). Lors de l’exercice universitaire 2017-2018. Le DU Art du Soin débute avec des étudiants en médecine, des professionnels de santé en exercice en ville et à l’hôpital, des patients et proches rendant effectif le concept ayant pris forme en 2016 d’ « Univer-C-ité du Soin » (Ghadi et al, 2019)[8]. Dès sa première année de fonctionnement, à l’automne 2018, le DU reçoit le prix de l’innovation pédagogique en formation tout au long de la vie (Prix PEPS 2018) et devient DU Art du Soin en partenariat avec le patient, l’équipe s’enrichit pour la suite d’une patiente et d’un étudiant en médecine et devient l’année suivante officiellement DU Art du Soin en partenariat avec le patient. C’est au printemps 2019 que le Centre d’Innovation du Partenariat avec les Patients et le Public (CI3P) est créé dans le Département d’Enseignement et de Recherche de Médecine Générale (DERMG) à la Faculté de Médecine de l’Université Côte d’Azur (UCA), grâce au soutien de l’Agence Régionale de Santé Provence Alpes Côte d’Azur (ARS-PACA), l’entité qui permet de débuter les apprentissages du partenariat de soin avec le patient dans le cadre de cours obligatoires d’enseignement initial d’études de médecine avec les séances de la Clinique du Galet dont une séquence pédagogique et sa conception est présentée dans cet article avec sa méthodologie de co-construction.
2. UNE ASSISE CONCEPTUELLE : LE MODÈLE RELATIONNEL DU PARTENARIAT DE SOIN
AVEC LE PATIENT
La pédagogie s’appuie sur une connaissance transmise par les co-concepteurs du modèle de Montréal (Flora, 2012 [9]; Pomey et al, 2015 [10]). Selon cette approche il existe une interdépendance entre les savoirs des professionnels de santé, détenteurs d’une expertise de la maladie, et des patients (et proches) détenteurs d’une expertise de la vie avec la maladie dont il est possible, voire nécessaire de permettre une complémentarité des savoirs (Figure 1).
Figure 1
3. ENSEIGNER L’EXERCICE MÉDICAL PAR L’ART ET LES SAVOIRS EXPÉRIENTIELS AVEC LA PARTICIPATION DU PATIENT : LA SÉQUENCE PÉDAGOGIQUE.
Depuis le printemps 2019, il a été proposé à l’équipe du centre d’innovation du partenariat avec les patients et le public d’intervenir en alternative à un cours existant en mobilisant un ou des patients. La séquence pédagogique à partir de laquelle intervenir s’organise dans l’amphithéâtre du CHU de Nice, Hôpital Pasteur en contrebas. À l’origine ce cours est organisé en deux séquences. La première consiste en la lecture par les étudiants du dossier médical d’un patient vivant avec une pathologie choisie par les enseignants cliniciens. La seconde partie est organisée à partir de ce cas clinique dont les étudiants ont étudié le dossier par les échanges avec un acteur suivant un scénario préparé par les enseignants cliniciens. Le cours, obligatoire est destiné aux étudiants en médecine de 4ème, 5ème et 6ème année, des étudiants en immersion clinique par stages successifs dans les services du CHU. La proposition faite à l’équipe du CI3P fut de remplacer le jeu d’acteur par un échange avec un patient partenaire au profil formateur. Il fut décidé de conserver la structure du cours scindée en deux parties et de le fondre dans le cadre d’une séquence coconstruite avec le patient intervenant et le tandem de partenariat médecin-patient du CI3P dont la méthodologie est illustrée ci-dessous (Figure 2).
Au-delà de la co-construction de la séquence initiale co-construite avec le patient formateur du CI3P , Thomas Chansou, qui est coanimée en tandem avec un médecin, Jean-Michel Benattar,
proposant ainsi un modèle de rôle pour illustrer la complémentarité des savoirs, l’architecture même de l’approche de ces séances du galet réalisées en partenariat avec le patient, reprend l’approche des modules déjà créés au sein de l’ »UniverCité du Soin« , que ce soit dans le dispositif d’éducation citoyenne en santé, les cinés-débats-rencontres [11] ouverts à tout citoyen, les séminaires internationaux inspirés par la médecine narrative avec Maria Cabral de l’Université de Lisbonne, également ouverts à tout citoyen ou encore du DU Art du soin en partenariat avec le patient ouvert aux étudiants en médecine et sciences de la santé, professionnels de santé en exercice, patients et proches. L’invariant réside dans le passage par l’art pour enseigner l’Art du Soin. Si dans le cas de ces séquences pédagogiques nous recrutons donc des patients mobilisant des compétences acquises au fil de leur vie avec la maladie sur la base des savoirs expérientiels issues de l’épreuve du problème de santé comme pour toute autre séquence pédagogique mobilisant des patients (Figure 3), pour ce type d’enseignement nous enrichissons notre exigence.
(Flora, 2015 [12]; DCPP, 2015 [13])
En effet, les patients qui interviennent dans cette séquence spécifique ont socialisé leurs savoirs de manière spécifique, avec des caractéristiques artistiques. Dans le cas de la séquence initiale, il s’agit d’un court métrage, mais dans d’autres propositions nous avons déjà un registre de documentaires, de bande dessinée et d’autres à venir. Dans cette séquence inaugurale, ayant décidé de préserver le format qui a du sens pour l’équipe pédagogique ayant sollicité le CI3P, nous avons adapté les séquences, Thomas Chansou, le patient ne souhaitant pas assister aux échanges autour de son dossier médical. Il a alors été décidé de mobiliser une autre patiente formatrice recrutée à la sortie de sa formation au DU Art du Soin en partenariat avec le patient après identification au cours de la formation des compétences remplissant nos conditions de recrutement. L’idée est d’implanter d’une part la perspective patient dans les représentations et ce jusqu’à la communication qui est faite à partir de données largement biomédicales, de permettre d’être conscient qu’il s’agit toujours d’un être humain, et d’autre part d’instiller l’idée que les échanges autour de la situation devraient toujours s’il le souhaite avoir lieu en sa présence, ce qui a été le cas lors de la seconde séance organisée. La seconde partie a été introduite par le médecin du CI3P, s’en est suivie la projection du film Charly est vivant [14] de Thomas Chansou et un échange entre le patient, Thomas Chansou et les étudiants autour de l’annonce de la maladie et des complications. Une liste de sujets traités par le court métrage biographique réalisé sur un ton décalé et humoristique avait été en amont identifiée entre le patient et l’équipe du CI3P.
4. L’AMBITION DU CI3P À TRAVERS CE TYPE D’ENSEIGNEMENT
Si ces séquences introduites en 2019 comme une opportunité en réponse à une sollicitation apparue du fait des actions entreprises en amont par la MMC, puis par l’équipe constituée qui anime depuis le printemps 2019 le centre d’innovation du partenariat avec les patients et le public qu’ont rejoint les premiers patients formateurs, passe par l’enseignement aux sciences de la santé avec la participation des patients, une ambition plus grande est en œuvre. En effet, comme cela s’est développé au début de cette décennie à partir de la faculté de médecine de Montréal, l’objectif est de proposer une transformation systémique pour adapter le système de santé, ses organisations et les comportements de l’ensemble des parties prenantes pour les ajuster aux différentes mutations que vivent nos sociétés, et cela avec les premiers concernés, les patients et le public. À cette fin, à partir d’un développement qui a fait ses preuves, la mobilisation de patients partenaires qui socialisent leurs savoirs expérientiels selon différents profils (Figure 4) comme ceux sollicités.
(Flora 2014) [15]
Il s’agit ici d’un patient formateur de profil formation et d’un patient formateur de profil
« ingénierie », mais plus largement un éventail de profils sont identifiés pour être également mobilisés dans les milieux de soins et de recherche en santé. Cependant et il nous apparaît au fil de nos perceptions de la compréhension qu’en ont la majorité des professionnels de santé et
patients que nous rencontrons, ces patients partenaires mobilisés dans le système de santé ne sont pas une fin, mais un moyen de permettre à chaque citoyen à terme, d’être ou de devenir, s’il le souhaite, un patient partenaire dans ses propres soins dès le premier contact avec un ou des professionnels de santé, avec le système de santé à travers des agents. Et pour cela, il apparaît nécessaire de proposer cette approche dès les formations initiales, ce que propose cette séquence pédagogique qui devrait être réfléchie dans un continuum d’apprentissage aux sciences de la santé comme une étape parmi d’autres, ce que peut aider à faire un patient formateur au profil ingénierie et des patients partenaires impliqués dans la gouvernance de l’ensemble des instances, comme les différentes lois portant la démocratie sanitaire le permettent.
CONCLUSION
La mobilisation de patients lors des séances de la Clinique du Galet a été très appréciée et acceptée. Après les expériences pilotes de 2018-2019, ce dispositif pédagogique adapté avec la participation de patients selon la méthodologie proposée est pérennisé lors de l’exercice en cours. Plus largement la participation des patients va s’amplifier à la faculté de médecine de Nice avec et grâce à la participation d’une entité dédiée. Les principes inspirés de la médecine narrative (Charon, 2006) [16] sont une base intéressante pour apprendre l’exercice médical, l’Art du Soin et les productions artistiques ou biographiques des patients révèlent une approche pédagogique intéressante pour traiter de sujets sensibles pour les patients et des apprentissages encore trop peu développés pour la formation des étudiants en sciences de la santé.
Thomas Chansou & Jean-Michel Benattar
PERCEPTION DE LA NATURE DU PARTENARIAT ET DE SON IMPACT
À L’ISSUE DE LA RECHERCHE ACTION (Darmon, Flora, Benattar, 2019) [17]
PERCEPTION DE LA NATURE DES PARTENARIATS ET DE LEUR IMPACT
À L’ISSUE DE LA RECHERCHE ACTION TOUT AU LONG DU CONGRES
(Boivin et al 2017) [18]
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES ET NOTES DE L’ARTICLE
[1] Chansou T., Benattar J.-M. (2020). Enseigner l’exercice médical par l’Art et les savoirs expérientiels avec la participation du patient. Le partenariat du soin avec le patient : analyses. N°1, 2020, pp. 30-48
[2] Kurosawa A. (1965). Barberousse
[3] Musée de Nice
[4] Deville Michel, (1999). La maladie de Sachs
[5] Winckler M. (1998). La maladie de Sachs, Livre Inter.
[6] Barrier P. (2014). Le patient autonome. Presses Universitaires de France.
[7] Borell P. (2012). Un monde sans humains
[8] Ghadi, V., Flora L., Jarno, P., & Lelievre, H. (2019). The Engagement Conundrum of French Users. In Pomey M.-P., Denis J.-L., Dumez V. (Eds.),Patient Engagement : How Patient provider Partnerships Transform Healthcare Organizations : Springer International Publishing, pp.199-231.
[9] Flora L. (2012). Le patient formateur : élaboration théorique et pratique d’un nouveau métier de la santé. Thèse de doctorat de sciences sociales, spécialité « Sciences de l’éducation », Université Vincennes Saint Denis – Paris 8, campus Condorcet.
[10] Pomey M.-P., Flora L., Karazivan P., Dumez V., Lebel P., Vanier M.-C., Débarge B., Clavel N., Jouet E. (2015), « Le « Montreal model » : enjeux du partenariat relationnel entre patient et professionnels de santé », Santé publique, HS, 2015/S1, pp.41-50.
[11] Les rencontres-ciné-débat peuvent être initiées par un film, un documentaire audiovisuel mais également des lectures d’ouvrages comme cela a été le cas avec l’auteur médecin Martin Winckler par exemple, de performances comme cela l’a été avec les membres de l’association Dingdingdong ou encore d’une pièce de théâtre comme par exemple Elephant man, d’Antoine Chalard.
[12] Flora L. (2015). Un référentiel de compétences de patient : pour quoi faire ? Du savoir expérientiel des malades à un référentiel de compétences intégré : l’exemple du modèle de Montréal. Presses Académiques Francophones, Sarrebruck, Allemagne.
[13] DCPP (2015). Référentiel de compétences des patients, Direction collaboration et partenariat patient, Faculté de médecine, Université de Montréal.
[14] Le film Charly est vivant est accessible à l’adresse Internet : https://www.charlyestvivant.fr/
[15] Flora L. (2014), « Le patient formateur, un nouveau métier pour accompagner un nouveau paradigme au sein du système de santé », dans Nouvelles interventions réflexives dans la recherche en santé : du savoir expérientiel des malades aux interventions des
professionnels de santé, Paris : Archives contemporaines, pp.21-41.
[16] Charon R. (2015), Médecine narrative : Rendre hommage aux histoires de maladies, (Traduit de l’ouvrage anglais publié à Oxford University press en 2006), Paris : Sipayat.
[17] Flora L., Darmon D. Benattar J.-M. (Coord.).(2019), Contribution à l’état de l’art : Retour sur le 1er colloque International en France sur le partenariat de soin avec le patient à partir des communications et écoévaluations. Centre d’Innovation du Partenariat avec les Patients et le Public (CI3P), Université côte d’azur. ( Les actes sont accessibles gratuitement sur demande par envoi de courriel en cliquant ici)
[18] Boivin A., Flora L., Dumez V., L’Espérance A., Berkesse A., Gauvin F.-P. (2017).« Transformer la santé en partenariat avec les patients et le public : historique, approche et impacts du “modèle de Montréal”. In « La participation des patients » « vol. 2017, Collection « Ethique biomédicale et normes juridiques », Paris : Editions Dalloz, pp. 11-24