De l’esprit critique dans l’enseignement de la médecine concernant l’influence des laboratoires pharmaceutiques

Fin avril s’est tenu, dans les locaux de la revue Prescrire, une journée de réflexion, à l’initiative du FORMINDEP, une journée d’échange sur la formation à l’esprit critique des étudiants en médecine en France. Ce billet a pour objet de relater ce que j’y ai personnellement vécu et quelles sont les réflexions que cette journée m’a inspiré (Voir également sur le sujet l’émission état de santé sur la chaine parlementaire).

 

CONTEXTE

Cette journée étant organisée avec un doctorant menant sa recherche sur le sujet dans le laboratoire EXPERICE dans lequel j’ai moi-même réalisé ma thèse, j’ai été identifié comme un des deux grands témoins. L’idée était de répartir ce rôle entre un patient, qu’en tant que patient chercheur assumé j’ai accepté, et un médecin, Jean Jouquan, médecin interniste au Centre-Hospitalo-Universitaire de Brest et directeur de la revue Pédagogie médicale. J’étais invité du fait de mon expérience dans la transformation de l’enseignement de la médecine à la faculté de médecine de l’Université de Montréal au Québec et c’est donc en participant attentif que j’ai assisté, avant de prendre la parole, à cette journée.

 

LES PARTICIPANTS

Une soixantaine de participants étaient présents, parmi eux figuraient des étudiants dont des représentants de l’ Association Nationale des Etudiants en Médecine de France (ANEMF), de l’InterSyndicale Nationale Autonome Représentative des Internes de Médecine Générale (ISNAR-IMG), de l’InterSyndical National des Internes en médecine (ISNI), de la Troupe du Rire, le Syndicat National des Jeunes Médecins Généralistes (SNJMG), le Syndicat des Médecins Généralistes (SMG), plusieurs enseignants et maîtres de stage universitaires de plusieurs facultés françaises, des médecins, parmi lesquels Irène Frachon et pharmaciens, des chercheurs en sciences humaines et sociales (historiens, anthropologues comme par exemple Sylvie Fainzang, sociologues, etc.), des spécialistes en pédagogie médicale, une association de patients, la Société de Formation Thérapeutique du Généraliste (SFTG), des associations (Prescrire, FORMINDEP), une attachée sénatoriale, quelques médecins venus de plusieurs régions de France et plusieurs étudiants en médecine d’autres pays Européens intéressés par la démarche en tant que représentants ou membres d’associations d’étudiants de facultés de médecine. Cette diversité, peu nombreuse mais significative par ce qu’elle réunit de groupes constitués a contribué à enrichir la réflexion par les échanges et signifier, selon moi de l’intérêt du sujet tant dans la société française qu’au niveau Européen.

 

LE PROGRAMME

Après avoir accueilli les participants, la journée à commencé par un état des lieux de ce qui existe dans la formation initiale en matière de travail de réflexion ou autre vis à vis de l’indépendance.

Cet état des lieux a été suivi de la présentation de la campagne Just Medicine états-unienne et des initiatives étudiantes en France suivie d’une table ronde avec Paul Scheffer, mon collègue du laboratoire interuniversitaire EXPERICE, un membre de l’ANEMF, une membre de la Troupe du Rire, une membre du SNJMG et un médecin généraliste, auteur d’une thèse en médecine sur l’impact de la visite médicale sur les prescriptions.

La dernière partie de la matinée était consacrée à quelques initiatives pédagogiques actuellement en cours en France dans : la faculté de médecine de Strasbourg, la faculté de médecine Claude Bernard de Lyon, la faculté de médecine de Rennes et celle d’une médecin maitre de stage de médecine générale en Ile de France.  Cette demi journée s’est donc conclue sur ce que m’ont suscité les propos et contenus présentés, conclusion subjective comme elle avait été présentée dans le programme.

L’après midi a (elle) démarré, après un déjeuner en commun riche de nombreux échanges, à l’utilisation et la place que pourrait prendre en France le manuel d’enseignement Comprendre et répondre à la promotion de l’industrie pharmaceutique et y répondre de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), un manuel traduit par une employée de la Haute Autorité de Santé (HAS), puis de la question  » Dans quelle mesure le programme d’enseignement proposé par l’AMSA, Just Medicine Curriculum, peut servir de document de référence pour développer la formation à l’indépendance en France? ».

La seconde partie de l’après midi a ensuite donné lieu à une table ronde ouverte à l’ensemble des participants sur « les développements possible de la formation à l’indépendance en médecine ? » avant que Jean Jouquan, ancien vice-doyen aux études médicales de l’Université de Brest, ne conclut par une réflexion sur la journée et les pistes possibles dans la manière de s’y prendre pour réorganiser la formation des médecins et les écueils à éviter.

 

TEMOIGNAGE

J’ai commencé, en respect de la consigne des initiateurs de la journée, a décliné mes liens sans conflit d’intérêt avec les laboratoires pharmaceutiques, soulignant que nous devrions d’une part, y adjoindre aujourd’hui également déclarés les liens avec l’industrie du digital qui en 2014 en France a généré 2,7 milliards d’€uros. J’ai également souligné, d’autre part,  la difficulté tant pour les médecins que pour les patients engagés dans le cadre d’associations d’usagers de ne pas être directement ou indirectement (1) en lien, sinon en conflit d’intérêt, avec les financements des laboratoires pharmaceutiques dans le système actuel, raison pour laquelle des actions, comme celle présentée, étaient pertinente.

J’ai ensuite commencé ma réflexion sur la difficulté à appliquer à soi-même motivé par le sujet, cette vigilance en constatant que les 13 des 20 interventions de la matinée n’aient pas automatiquement déclaré leurs liens d’intérêt. Au vu des interventions tant dans les tables rondes que parmi les participants, en avançant que ce sont les jeunes médecins qui sont susceptibles d’être les agents de changement du système pour peu qu’une formation à la réflexivité soit mise en œuvre, signifiant que mettre les étudiants aux professions de santé comme agents de changement est en tous les cas le pari fait à la faculté de médecine de l’université de Montréal, au Québec.

J’ai  prolongé mon propos en suggérant que l’approche systémique et la mutualisation m’apparaissaient nécessaires pour réellement basculer dans un usage et des comportements différents. J’ai rappelé la réflexion de Sylvie Fainzang (2001 (2), 2006 (3), 2012 (4)) dans la matinée mettant en perspective que les étudiants mobilisés dans les dispositifs innovant exposés durant la matinée sensibilisaient des étudiants déjà sensibilisés puisque ces enseignements étaient optionnels.

J’ai ainsi proposé sur la base de mon expérience que des dispositifs de maintien de pratiques réflexives devraient cependant être pour créer les conditions favorables à répandre une nouvelle culture, évoquant à cet effet l’initiative de la Maison de la Médecine et de la Culture de Nice qui avait organisé une journée sur la réflexion critique en médecine en avril 2014 à partir du film « Knock ». Les interventions de Roland Gori, psychanalyste, ayant écrit avec Marie-José Del Volgo « La santé totalitaire » (5), un essai sur la médicalisation de l’existence et celle d’Irène Frachon, ayant écrit « mediator 150 mg, combien de morts » (6)  avait suivi la projection du film en introduction d’un débat avec le public dont  Jean-Michel Benattar (7) avait déjà en conclusion souligné la valeur du livret de la troupe du rire à avoir dans la poche de la blouse des étudiants en médecine et des médecins hospitaliers.Un groupe, la troupe du rire dont j’ai tenu a féliciter l’initiative pour leur petit carnet pouvant être glissé dans une poche a reçu en 2015 le prix de la revue prescrire).

J’ai souligné que j’étais un chercheur impliqué, mais un chercheur distancié, réflexif, et qu’en tant que tel, je considérais que dans le renouvellement de la relation médecin/patient, dans la relation professionnels de santé /patient dans le cadre de l’approche interdisciplinaire rendue nécessaire pour les malades chroniques et les personnes dépendantes, il est important d’éveiller des deux côtés de la relation car nombre d’usages sont aujourd’hui dans l’impensé.

J’ai conclu sur le fait que le petit nombre de participants présents, mais très impliqué socialement dans différents groupes d’influence me faisait penser aux écrits de Serge Moscovici (1979)(8), ce psychosociologue français, qui écrivait que les déviants d’une société, parce que pratiquant des usages encore bien souvent inhabituels, mais également moteurs d’innovation initiaient souvent les usages de demain, comme une vision positive de ce qui se passait en cette journée, avant de finir la matinée sur une question ouverte : Le jeu de transparence/opacité participe-t-il à la neutralisation des actions visant à contrer les actions telles que celle promue aujourd’hui ?

ANALYSE GÉNÉRALE EN CONCLUSION

Un engagement fort des étudiants est une excellente nouvelle, tant au niveau de l’implication forte des étudiants présents et de la présence à travers eux de nombre de collectifs (la troupe du Rire, l’ANEMF, ISNAR-IMG…). Ces étudiants ont revendiqué une pédagogie innovante, s’appuyant notamment sur les mouvements d’éducation populaire.

Il a été fait état d’une réelle crise pédagogique et  tous les intervenants ont souligné la nécessité d’adapter les méthodes pédagogiques pour former à l’indépendance, comme le souligne d’ailleurs les doyens de faculté de médecine depuis maintenant plusieurs décennies sans avoir trouvé apparemment le processus qui permettrait d’en sortir. Ainsi, il a été souligné que dans l’enseignement facultaire, l’organisation des études basée sur la sélection par concours apparait être un frein important à la mobilisation d’un esprit critique chez les étudiants.

Des modifications systémiques sont à mettre en place par une action auprès des doyens et du ministère. À ce titre durant la journée est arrivé un message du président de la conférence des doyens a été lu à l’assistance, ce courriel adressé pour l’occasion au sujet d’un appel à plus de transparence dans l’expertise et plus de financement public de l’université. Il est également souhaitable, voire indispensable, d’impliquer dans l’enseignement actuel les étudiants, des patients, des enseignants de Sciences Humaines et Sociales (SHS), comme il apparait nécessaire de développer des méthodes pédagogiques réflexives et actives. Il a également été dit que les interventions les plus efficaces sont les interactions avec les maîtres de stage en situation de soin, ce qui pose le problème de la formation des maîtres de stage et plus largement de la gestion de l’indépendance dans les terrains de stage (hospitaliers et ambulatoires). À ce titre, à la faculté de médecine de l’université de Montréal a été créé un centre de pédagogie appliqué aux sciences de la santé (CPASS) et des dispositifs pédagogiques que j’ai coconstruit avec le bureau de l’éthique clinique permettant de faire émerger de nouvelles vocations et de préparer les futurs enseignants.

Notes et références bibliographiques

(1). La plupart des associations d’usagers ont, en partie de la faiblesse des soutiens de l’état et des collectivités un plus ou moins grande partie de leur financement provenant des laboratoires pharmaceutiques.

(2). Fainzang S. (2001), Médicaments et société. Le patient, le médecin et l’ordonnance, Paris, PUF.

(3). Fainzang S. (2006), La Relation médecins/malades : information et mensonge, Paris, PUF.

(4). Fainzang S. (2006), L’automédication ou le mirage de l’autonomie, Paris, PUF.

(5). Gori R., Del Volgo M.-J. (2005), La santé totalitaire, Paris: DeNoël.

(6). Jean-Michel Benattar est l’initiateur de la Maison de la Médecine et de la Culture avec qui j’œuvre à une « UniverCité » du soin, une école citoyenne du prendre soin transversale qui a pour but d’enseigner et de répandre la culture et les pratiques du prendre soin à l’Université et dans la Cité dans tous les lieux d’apprentissage et de pratique des soins, y compris sur le web avec la participation de tandems médecins/patients à l’image de ce qui a été développé dans le modèle de Montréal.

(7). Frachon I. (2010), Médiator, combien de morts, Brest : éditions Dialogues,

(8). Moscovici S. (1979), Psychologie des minorités actives, (1ère édition, 1976, à Londres : academic press), Paris : PUF.

À lire sur le sujet l’ouvrage dirigé par Paul Scheffer déjà présenté dans un article de ce blog : Scheffer P. (Coord.), Les métiers de la santé face aux industries pharmaceutique, agroalimentaire et chimique : quelles formations critiques ?, Paris, L’Harmattan.

En savoir +, en réaction à ce billet et à cette action

L’association Médecine, Communication et Services (MCS) s’est depuis la publication de cet article manifesté pour communiquer sur le sujet le 25 mai 2016.

Voici ce qu’elle a exprimé

 » L’association Médecine, Communication et Services (MCS)n’a pas pu participer à cette journée mais nous accompagnons la démarche du Formindep et nous avons édité dans ce sens un site présentant les structures médicales qui ont fait dès leur création le choix de l’indépendance : https://www.smore.com/ete4j-medecins-et-labos-pharmaceutiques?ref=my »

L’émission état de santé sur la chaine parlementaire.